Septembre/Décembre 2020 – Résidence de création au Centre de Conservation et de Restauration du Patrimoine Mobilier Corse à Calvi.

CONTEXTE DE LA RÉSIDENCE

Le CCRPMC (Centre de Conservation et de Restauration du Patrimoine Mobilier Corse), situé dans l’ancienne bâtisse militaire du Fort Charlet à Calvi, accueille la résidence artistique « Art in conservation ».

L’ambition de cette initiative est de faire dialoguer pratiques de conservation et création contemporaine afin d’enrichir la réflexion sur les missions portées par le Centre.

J’ai le plaisir d’être la lauréate 2020 et de travailler en collaboration avec l’équipe du CCRPMC sur un projet d’exposition qui sera présenté en 2021-2022 dans l’enceinte du fort.

 

LE PROJET

Le travail que je développe s’inspire du texte Cendres sur les mains de Laurent Gaudé. Je m’intéresse aux rites funéraires et à la volonté de garder une mémoire, individuelle ou collective, de ce qui est en train de disparaître. Les gestes d’attention accordés aux corps des défunts, par ce qu’ils expriment de reconnaissance et de tendresse, sont le centre du projet.

Ma proposition artistique se concentre sur des sculptures de têtes cadavériques en savon, façonnées par sur-modelage sur des crânes en faïence. Les visiteurs de l’exposition auront la possibilité de toucher les œuvres pour se laver les mains avec. Par ces gestes tactiles évoquant les derniers contacts et la toilette mortuaire prodiguée comme première étape du rite funéraire, les visiteurs provoqueront la disparition progressive des visages.

Mon intérêt pour cette résidence au Fort Charlet était justement de proposer une œuvre éphémère, à contre-pied du devoir de conservation porté par le Centre. Contrairement aux règles curatoriales usuelles, le visiteur est invité à la proximité avec les œuvres. Il se retrouve donc dans une posture où il a un pouvoir mais également une responsabilité sur le devenir des sculptures.

 

UNE EXPOSITION PLURIDISCIPLINAIRE

L’ambition de l’exposition qui suivra ce temps de création est de mettre en lien ce projet d’art contemporain avec un objet patrimonial corse, restauré en parallèle de la résidence : Le Christ de procession de la commune de Santa-Reparata-Di-Balagna, une œuvre en bois de l’école génoise du début du 18ème siècle. Une occasion de réfléchir aux problématiques de transmission, de tradition et de représentation de la mort dans la culture corse. Cette rencontre des disciplines m’amène à développer, en parallèle des sculptures en savon, des projets vidéos et photos qui porteront un regard artistique sur des enjeux et gestes de restauration.

 

Ce Christ articulé, issu de l’atelier Maragliano, a reçu un traitement de restauration par Anaïs Lechat entre octobre et novembre 2020.

J’ai décidé de documenter cette intervention afin de mettre en perspective les gestes portés sur ce gisant de bois et ceux opérés lors de la toilette mortuaire des défunts. Cela a débouché sur la réalisation d’une vidéo nommée Mes mains s’en souviennent, phrase issue des répliques de La Rescapée, personnage principal de la pièce Cendres sur les mains.  En effet, dans le récit imaginé par Laurent Gaudé, cette Rescapée cherche à mémoriser les corps des défunts par le toucher afin de conserver leur souvenir et leur rendre la dignité qui leur est due.

 

« Je regarde les corps, étendus là. Je m’en approche. Je ne peux pas les laisser. Comme ça. Tordus. Je m’approche. Je les remets comme il faut. Mais ça ne suffit pas. Je les rhabille. Je rajuste les vestes. Mais ça ne suffit pas. (…) Je tends la main. Du bout des doigts. Je ferme les yeux. Le contact. Je le sens. Là. Sur la main. Froid. (…) Je fais ça. Je ferme les yeux. Du bout des doigts. Je ferme les yeux et je leur parle tout bas. (…) J’apprends les corps. C’est possible ça. Et mes mains s’en souviennent. (…) Il n’y a plus rien d’autre qui compte. Les retenir. Qu’ils ne disparaissent pas. »

La Rescapée dans Cendres sur les mains

 

Les répliques de cette Rescapée, parce qu’elles expriment le besoin de témoignage et la tendresse accordée à des corps meurtris, auront également une place importante dans l’exposition. En effet, j’ai eu le plaisir de travailler avec la comédienne et metteuse en scène Lauriane Goyet qui interprète ce texte dans une œuvre sonore nommée Leur parler tout bas. Le son de cette voix féminine sera diffusé dans la salle et mis en relation avec une série de 61 photographies.

 

Le projet photographique Qu’ils de disparaissent pas ! se présente comme un regard porté sur des sculptures du patrimoine corse, marquées par la dégradation du temps ou du manque d’entretien. Comme les cadavres de la fosse dont la Rescapée témoigne, ces objets risquent l’oubli et la disparition s’ils ne sont pas considérés. Une des missions du centre est justement de sauver ces œuvres de l’abandon et de leur apporter soin et valorisation. Je suis donc partie à la recherche de ces gisants pour les photographier. 

 

Maquette de l’exposition à venir

 

L’ATELIER

Voici quelques images et explications sur les étapes de la réalisation des œuvres lors de cette résidence.

 

RÉALISATION DES CRÂNES EN FAÏENCE

Réalisation d’un moule en plâtre à partir d’un modèle anatomique

Remplissage du moule avec la terre, par estampage

Assemblage du moule

Sortie de la réplique avant sculpture

 

Séchage des crânes

Crânes après première cuisson

Émaillage

Crâne émaillé après deuxième cuisson

 

 

FABRICATION DU SAVON

A l’origine du projet, je souhaitais faire le savon à partir de cendres pour transformer une matière qui salit en un matériau qui lave. Ces deux éléments (cendre et savon) sont issus du texte Cendres sur les mains : Les deux Fossoyeurs responsables de faire disparaître les cadavres sont rongés par la cendre dont ils sont recouverts et qui représente leur culpabilité. Ils cherchent à se laver avec du savon comme si celui-ci pouvait être signe de rédemption.

RECHERCHES SAVON DE CENDRE 

Lixivation de cendres Expérimentation de différents dosages des ingrédients Étiquetage des différents résultats obtenus

Les recherches n’aboutissant pas à un matériau convenable et « sculptable », j’ai appris la saponification à froid auprès de Marie Lépinay, savonnière installée à Oudon.

Fabrication de la pâte à savon

 

FAÇONNAGE DES SCULPTURES

 

Pour présenter ces savons, l’ambition était de créer des drapés en faïence émaillée pour entourer les visages en évoquant les linceuls.

La réalisation de ces pièces en céramique fut fastidieuse. J’ai tout d’abord essayé plusieurs techniques : la sculpture dans la masse, le modelage par plaque de terre, le trempage dans de la barbotine.

RÉALISATION DES DRAPÉS

 

J’ai choisi d’utiliser la technique par plaque de terre. J’ai réalisé trois drapés dont un qui servira d’évier lorsque les visiteurs feront couler de l’eau pour utiliser les savons.

Je les ai ensuite déplacés chez le potier de Corbara, Antoine Campana, pour les faire sécher et les cuire.

Linceuls secs, prêts à être cuits Mise au four Le four
Cabine d’émaillage Émaillage par pulvérisation Retouches au pinceau

 

SÉLECTION ET COMPOSITION DE LA SÉRIE PHOTOGRAPHIQUE Qu’ils ne disparaissent pas !

Vue de la maquette

 

CONSTRUCTION DE LA SCÉNOGRAPHIE DE L’EXPOSITION

Création d’une cloison

Ponçage Peinture